Le fact-cheking, contre-feu aux fake news – Ecrit par Rozenn Gourvennec

La vérification des données est une règle d’or du journalisme. Pourtant, avec Internet, le marché de l’information a beaucoup évolué et les fake news circulent facilement. Pour les débusquer, les fact-checkers sont désormais à l’œuvre dans les grands médias. Zoom sur le journalisme de vérification, outil nécessaire dans le métier.

Souvenez-vous il y a quelques mois, lors de l’élection présidentielle américaine, les résultats de plusieurs États faisaient l’objet de soupçons de fraudes. Des bulletins de vote pour Trump brûlés, des morts votant pour Biden… Le président sortant lui-même n’hésitait pas à dénoncer un supposé « vol » du scrutin. Entre le 27 octobre et le 11 novembre 2020, Twitter avait épinglé pas moins de 300 000 messages trompeurs concernant l’élection.

Dès 1923 aux États-Unis

C’est pour débusquer ce genre de rumeurs et vérifier la parole des politiques que le fact-checking est né. Non pas en 2020, mais un siècle plus tôt déjà, en 1923, lorsque le magazine américain Time avait mis en place une équipe de fact-checkers pour vérifier les informations (noms, dates, faits, chiffres, propos) avant publication. La base du journalisme, certes. Mais à l’ère du numérique, l’information circule tellement vite et de toutes parts, qu’elle est souvent publiée avant même d’être vérifiée. La faute aux réseaux sociaux, notamment Twitter, qui permet à tout un chacun d’alimenter ou de relayer de fausses informations. En novembre 2020, le CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel) publiait une étude de 80 pages sur les phénomènes et mécanismes de propagation et de correction des fausses informations sur la plateforme Twitter. Il en ressort que la viralité profite bien mieux aux infox et que les comptes non vérifiés et diffusant de fausses informations comptent moins d’abonnés que les comptes vérifiés mais qu’ils sont bien plus actifs. Le réseau à l’oiseau bleu travaille néanmoins à la mise en place de règles pour lutter contre la propagation de la désinformation.

« Acrimed », le précurseur français

C’est donc pour démystifier les fausses histoires, hoax et autres théories du complot que le fact-checking prend de l’ampleur aujourd’hui. Il a fait son apparition en France en 1995 avec la création de l’association Acrimed (Action-Critique-Medias) puis l’émission de télévision « Arrêts sur image » sur France 5 l’année suivante. Certains journaux nationaux décident d’y consacrer une rubrique, comme le quotidien Libération en 2008 avec « Désintox » qui vérifie les dires des politiques, ou Le Monde qui fait de son blog « Les Décodeurs » une rubrique en 2014, cinq ans après son lancement. D’autres suivront le mouvement : le site de l’Obs avec « Les Pinocchios de l’Obs » depuis 2011, le site du Journal du Dimanche avec « Détecteur de mensonge » depuis 2011, le site du Figaro avec « Le Scan politique » depuis 2013…  Les émissions de télévision s’y mettent, comme le module quotidien « À la loupe » sur LCI, « Info ou détox » sur France 24 ou « Le vrai du faux » sur France Info. Des blogs et sites web sont de plus en plus nombreux à traquer les canulars : HoaxBuster, Captain Fact ou Checknews.

L’AFP, leader du fact-checking

A l’AFP, une cellule d’investigation numérique a été mise en place en 2017 pour devenir le plus grand réseau au monde de journalistes experts en fact- checking. Plus de 90 journalistes travaillant dans seize langues sont chargés des enquêtes numériques dans 80 pays. L’agence de presse explique sur son site factuel.afp.com sa méthode et ses outils pour chasser les infox. Certaines images sont parfois utilisées pour leur faire dire une chose qu’elles ne montrent pas. Les fact-checkers effectuent une recherche inversée afin de vérifier si la photo n’a pas déjà été utilisée dans un autre contexte. Le moteur de recherche retrouve les images similaires ou identiques, ce qui permet à l’investigateur de remonter jusqu’à l’auteur, la date et le lieu de la prise de vue. Pour les vidéos, l’agence utilise l’extension InVID/We Verify qui permet de découper une vidéo en une série d’imagettes et de demander au moteur de recherche s’il a déjà référencé une image extraite de la vidéo. Si la photo ou la vidéo n’ont pas déjà été publiées sur le net, le journaliste décortique l’image pour identifier des indices qui permettront de préciser lieu et la date de prise de vue. Une enseigne, un nom de rue, un marquage au sol…  tout est étudié pour remonter à la source de l’information.

La parole des politiques fait également l’objet de vérifications. Pour ce faire, un simple copier-coller des propos dans un moteur de recherche permet de retrouver la véritable citation. Quand il s’agit d’un chiffre, les fact-checkers recherchent l’étude de laquelle il est tiré et consultent sa méthodologie.

Dans certains cas, Internet et le téléphone ne suffisent pas à remonter à la vraie information. Les journalistes se déplacent alors sur place (d’où l’intérêt d’avoir des fact-checkers dans plusieurs pays). En juillet 2018, par exemple, ils ont ainsi sollicité une journaliste de l’AFP au Koweït pour vérifier une vidéo devenue virale. De nombreuses publications affirmaient que cette vidéo donnait à voir un homme saoudien agresser une réceptionniste d’un hôpital londonien. De premières recherches en ligne les ont mis sur une toute autre piste : l’agression aurait eu lieu dans une clinique vétérinaire de Koweit City. La journaliste s’est alors rendue dans la clinique qu’ils avaient identifiée sur internet afin de confirmer qu’il s’agissait bien du même lieu – ce qui était le cas – et pour obtenir par la même occasion le témoignage de la vétérinaire agressée dans la vidéo.

Dans les écoles de journalisme

Le fact-checking fait désormais l’objet de formations spécifiques en écoles de journalisme. Le CFPJ (Centre de formation et de perfectionnement des journalistes) propose une formation courte sur trois jours pour apprendre à déjouer les fake news, vérifier ses informations et appliquer des techniques de fact-checking. L’ESJ (École supérieure de journalisme) forme sur deux jours à l’enquête et à la vérification de l’information sur les réseaux sociaux, à travers notamment l’évaluation de la source et de l’authenticité d’un compte.

À l’ère de l’infox, le fact-cheking est donc amené à prendre de plus en plus d’importance dans les métiers du journalisme. Mais pas seulement ! Une députée norvégienne a avancé la candidature d’un réseau de plusieurs fact-checkers pour le prix Nobel de la Paix, faisant valoir que « la première victime d’une guerre, c’est la vérité ». Quel média remportera ce prix prestigieux ?

Rozenn Gourvennec